Le jeu le plus dangereux

souriceau-investigateurPar Souriceau Investigateur | RollingBone Magazine

« ILS VONT BIENTÔT ARRIVER, dit le comte Longhorn. Les Ravagers. Un nom lourd de sens, n’est-ce pas ? Nos serviteurs ont peur de l’équipe. Je ne sais pas pourquoi. Une quelconque superstition. »

« Je ne les vois pas encore arriver », remarque le comte Braford, tentant d’y voir quelque chose dans la nuit noire presque palpable au sommet des murailles de Château-d’Eau.

« T’as de bons yeux, » répond Longhorn, avec un rire. « Et pourtant je t’ai vu lancer un ballon à un joueur en mouvement en plein milieu d’une mêlée à trente verges de distance, mais même toi ne peut voir à deux kilomètres par une nuit sans lune de Château-d’Eau. »

« Pas plus qu’à deux verges, » admit Braford. « On dirait de la suie noire mouillée. »

« Dès ce soir, on va y voir quelque chose dans la Crypte, notre stade, » promit Longhorn. « Nous allons avoir une bonne chasse. C’est un sport merveilleux, le blood bowl. »

« Le meilleur sport du monde, » agréa Braford.

« Pour le chasseur, » amenda Longhorn. « Pas pour la proie. »

« Tu dis n’importe quoi, Longhorn, » dit Braford. « Tu es un chasseur, pas un philosophe. Qui est-ce que ça intéresse comment se sent la proie ? »

« Peut-être que ça intéresse la proie, » observa Longhorn.

« Bah, elles ne comprennent pas. »

« Même là, je serais enclin à penser qu’elles comprennent au moins une chose – la peur. La peur de la douleur et la peur de la mort. »

« Insensé, » rigole Braford. « Ce temps chaud te ramollit, Longhorn. Soit réaliste. Le monde est divisé en deux catégories – les chasseurs et les proies. Heureusement, toi et moi sommes des chasseurs. Est-ce que tu penses que les Ravagers sont arrivés ? »

« Je ne peux le dire dans le noir. J’espère que non. »

« Pourquoi ? » Demande Braford.

« L’équipe a une réputation – bien mauvaise. »

« Des cannibales ? » suggère Braford.

« Bien pire. Même des cannibales ne leur survivraient pas. As-tu remarqué comme le goût de nos serviteurs était mauvais aujourd’hui ? »

« Il était effectivement étrange, maintenant que tu en fais la mention. Bifteck ne goûtait pas comme d’habitude. »

« Ouais, ce bougre qui serait capable d’aller demander du feu à Frosty lui-même avait un regard que je ne lui connaissait pas. Tout ce que j’ai pu tirer de lui était « Cette équipe a mauvaise réputation parmi les serviteurs, monsieur le comte. » Puis il m’a dit très gravement, « Vous ne ressentez rien, monsieur le comte ? » Ne ris pas de moi, mais j’ai ressenti comme un frisson soudain. Il n’y avait pas de brise et la nuit approchait, oppressante. J’ai senti un frisson mental, une sorte de crainte. »

« Pure imagination, » dit Braford. « Un serviteur superstitieux peut pourrir une équipe entière avec ses peurs. »

« Peut-être. Mais quelquefois je pense que les serviteurs ont un sens supplémentaire qui leur permet de savoir quand ils sont en danger. Parfois je pense que le mal est tangible – avec des ondes, un peu comme le son et la lumière. Une équipe respirant le mal émet des vibrations mauvaises. De toutes manières, je suis content que ce soit le dernier match de la saison – et la fin des Ravagers. Enfin, je pense que je vais aller me coucher, Braford. »

Je ne me sens pas fatigué, » dit Braford. « Je vais prendre une collation à la tour de guet. »

« Bonne nuit alors, Braford. On se voit avant le match pour le déjeuner. »

« Exact. Bonne nuit, Longhorn. »

Il n’y avait pas de son dans la nuit pendant que Braford dégustait son serviteur préféré. « Il fait tellement noir, » pensa-t-il, « que je pourrais dormir les yeux ouverts. » Un son étouffé le sortit de sa torpeur. À sa droite, il l’entendit et son ouïe, experte en la matière, ne pouvait être trompée. Une fois de plus il entendit le son qui s’amplifiait, lentement. Quelque part dans la nuit, un troupeau de lourdes bottes ferrées marchait en direction du château.

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